La pilule serait à la pharmacologie ce que Jeanne Moreau est au
cinéma : un symbole de libération sexuelle en phase de grand déclin.
Depuis mardi, date du décès de Lucien
Neuwirth, alias Le père la pilule, ou Lulu la pilule pour
les intimes, on se bouscule, à droite comme à gauche, pour rendre hommage à ce
grand gaulliste qui avait réussi, en 1967, à faire adopter contre la majorité
de son camp, la loi autorisant la contraception. François Hollande a salué,
notamment, « un acteur déterminant de l’évolution de la société
française ».
Il est vrai qu’avant Lucien Neuwirth, il
n’y avait peu ou prou qu’une seule méthode, celle évoquée par Woody
Allen : « Un petit mot sur la contraception orale… J’ai
demandé à une fille de coucher avec moi et elle a dit non. »
Avec Lucien, tout a changé. Pour les
laboratoires d’abord. Auxquels il a ouvert de formidables horizons
insoupçonnés : le marché des gens bien portants. Pour la première fois, un
médicament allait « soigner » un phénomène purement
physiologique, une disposition naturelle et normale. Le champ des possibles,
n’est-ce pas, devient dès lors infini ? Eux qui cantonnaient bêtement
leurs recherches aux mal-foutus, aux souffreteux, aux accidentés. Mais si l’on
peut bricoler aussi les mécaniques qui fonctionnent, alors…
Tout a changé pour les femmes aussi.
Pour en finir avec la « peur de l’enfant », elles peuvent
désormais « traiter » leur fécondité. Comme un
diabète, un asthme chronique. Avec quelques petites contraintes, c’est le lot
de toutes les affections au long cours. Selon l’IGAS (Inspection Générale des
Affaires Sociales) : « La prise de la pilule pendant la durée
de la vie féconde représente la gestion au quotidien de plus de 8.000
comprimés. » Avec la dose d’hormones de synthèse en proportion.
Amis du « bio » et de la nature, bonsoir.
Et c’est là, dit-on, que depuis quelques
années le bât blesse. Ce que l’on refuse pour le poulet dominical qui trône
dans l’assiette, pourquoi se l’infligerait-on ? Le magazine Marie-Claire s’interrogeait
déjà en mars 2011, avant même les scandales des pilules de 3e et 4e
génération : « Air du temps oblige, des femmes veulent
retrouver leur cycle “naturel”. Une sainte alliance écolo-catho est-elle en
train de se nouer ? »
Et ce n’est pas tout. Les femmes, ces
ingrates, n’étant jamais contentes, certaines soupçonnent Lulu la
pilule — ainsi surnommé dès l’âge de 17 ans pour avoir découvert à
Londres un contraceptif venu d’Amérique, la Gynomine, qu’il a ensuite
généreusement distribué aux copains — d’avoir surtout fait le bonheur… des
hommes. Déresponsabilisés (la gestion de la fécondité maîtrisée n’étant pas de
leur ressort), déculpabilisés, tranquillisés, installés dans une relation
libre-service pour laquelle tous les jours sont désormais ouvrés… tandis que
leurs partenaires, comme le montre une étude publiée en 2010 par des chercheurs
de l’université allemande de Heidelberg, verraient leur libido perturbée par la
pilule de Lulu.
Bref, la pilule serait à la pharmacologie ce que Jeanne
Moreau est au cinéma : un séduisant symbole de libération sexuelle en
phase de grand déclin. Lucien Neuwirth, en somme, a tiré sa révérence juste à
temps. Pour ne pas voir ça.
Boulevard Voltaire. La Liberté guide nos pas
http://www.bvoltaire.fr/