Alors que faire ? Comment, face à cette nouvelle donne, repenser au sein des familles et au sein des écoles l’éducation à la vie affective et sexuelle ?

" Cette question est au cœur de nos travaux, car le contrôle parental n’a pas de grande efficacité , explique Fabienne Bloc. L’important est de pouvoir en parler. Il faut aider les enfants à déconstruire les images et les films qu’ils voient. Il faut leur montrer en quoi ce n’est pas la réalité. Or, ce que j’ai constaté, c’est que les écoles, et mêmes les familles, ont des difficultés pour en parler. "

Un des grands problèmes du porno, poursuit la thérapeute, est qu’il contribue à véhiculer les stéréotypes de genre déjà présents dans la publicité et dans le langage quotidien. " Le porno véhicule un rapport de domination qu’il faut déconstruire. Les femmes y sont souvent présentées comme devant répondre aux désirs masculins, comme destinées à faire plaisir aux garçons. "

Outre l’éducation aux images, une notion clé à enseigner aujourd’hui est celle du consentement, insiste Fabienne Bloc. " La pornographie présente la sexualité de manière formatée, avec des passages obligés tels que la fellation par exemple. Cela crée de l’angoisse chez les jeunes filles qui pensent qu’elles doivent répondre à tous les souhaits des garçons. Il faut redire aux jeunes filles qu’elles peuvent dire non. Notez que cela crée de l’angoisse également dans la tête du garçon qui redoute de ne pas être à la hauteur de ce qu’il a vu. "

Sans créer des tabous qui isolent le jeune, il faut organiser, à travers l’Evras, des moments de discussions où, dès l’école primaire, les enfants peuvent poser les questions qui les travaillent. " Un lieu où on ne leur impose rien, où on les écoute pour déconstruire les stéréotypes et pour les aider à mettre des mots. " I l faut parvenir à cela sans " diaboliser " , ni " banaliser " ce qu’ils vivent.

Considérer la personne dans son entièreté

" Oui, le porno concerne les enfants. Et les parents doivent en être conscients " , acquiesce Thérèse Hargot, auteure du livre Une jeunesse sexuellement libérée (ou presq ue ) . " Il est indispensable de donner aux jeunes une vraie éducation aux médias. Mais face au porno, qui véhicule une certaine image de ce qu’est la personne humaine, on doit également offrir aux enfants une autre vision. Une vision plus unifiée de ce qu’est cette personne. Une vision qui associe le corps, le cœur et l’esprit. "

Ce que souhaite faire comprendre Thérèse Hargot, c’est qu’avec la culture du porno on n’apprend plus aux jeunes à considérer l’autre dans sa globalité. On ne se rend pas compte qu’en dénigrant le corps de l’autre, on dénigre sa personne en entier.

" Vous avez suivi la campagne #Balancetonporc sur Twitter (campagne qui entend dénoncer les violences faites aux femmes NdlR ) ? Eh bien avec le porno de masse et la culture du porno dans laquelle on baigne, qui ne nous apprennent plus à considérer l’autre et ce qu’il est, on fabrique des porcs dès le plus jeune âge. "

Mais comment faire face ? " Par exemple en organisant des cours de philosophie qui interrogent sur ce qu’est l’homme. Cela ne se fait plus. Or, avec le porno, on transforme les hommes et les femmes en objets de consommation, et on transforme le sexe, qui est pourtant quelque chose de très grand et de très beau, en produit de consommation. De surcroît, le monde hypersexualisé qui est le nôtre aliène l’homme à ses pulsions, le ramène sans cesse à ses pulsions. Comme si la société de consommation souhaitait qu’il reste un être pulsionnel prêt à tout consommer . "

Côté francophone, on définit des balises

En Fédération Wallonie-Bruxelles, l’Evras, l’Éducation à la vie relationnelle affective et sexuelle, est au cœur des discussions. Particulièrement auprès des cabinets de la ministre de l’Éducation, Marie-Martine Schyns (CDH), et de la ministre de la Jeunesse, Isabelle Simonis (PS). La Fédération a pour objectif de labelliser les acteurs qui, dans les écoles et dans les organisations de jeunesses, coordonnent des heures dédiées à ces formations Evras.

En la matière, la ministre Simonis a tiré la première. Début septembre, elle labellisait 65 opérateurs pour une période de trois ans. La labellisation prend en compte plusieurs critères, dont le fait d’aborder la vie affective et sexuelle dans sa globalité et de ne pas remettre en cause le libre choix des élèves en matière de sexualité.

Dans l’enseignement, le dossier est sensible. Plusieurs avancées ont déjà eu lieu, dont un état des lieux des formations données et la rédaction d’une circulaire pour rappeler l’obligation d’organiser ces heures et pour expliciter les balises nécessaires pour bien encadrer les associations extérieures à l’école, les enseignants, les éducateurs ou les centres psycho-médicaux-sociaux (PMS) qui les coordonnent.

Mais voilà, le sujet est inflammable car la définition des labels est complexe. La ministre Schyns est " favorable à une labellisation qui déterminerait les conditions minimales ." Mais la définition de ce " minimal" n’est pas arrêtée. Aucune formation Evras ne peut en effet être absolument neutre. Toutes, elles s’appuient sur une vision déterminée de ce qu’est la sexualité. Le pouvoir contraignant de ce label fait donc l’objet de longs débats.

État des lieux

En secondaire : En Fédération Wallonie-Bruxelles, les écoles sont tenues d’organiser des formations à l’éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle. Un état des lieux coordonné par les centres locaux de promotion de la santé (CLPS) révèle que la majorité des interventions ont lieu en deuxième, troisième et quatrième secondaires. Les étudiants de l’enseignement spécialisé et de l’enseignement en alternance sont cependant moins touchés par ces formations. Des budgets ont du coup été octroyés aux CLPS pour pallier ce problème.

Les acteurs : Les directions d’école sont libres de choisir les opérateurs qui organisent les formations Evras. Selon la ministre Schyns, les écoles multiplient les partenariats en invitant différents acteurs. Les centres de planning familial et les centres PMS sont cependant les acteurs le plus souvent sollicités.

Bosco d'Otreppe

http://www.lalibre.be/actu/belgique/avec-la-culture-du-porno-on-fabrique-des-generations-de-porcs-59e99c05cd70ccab369be5f1