Par Laetitia Pouliquen  Publié le 28/06/2017 à 16:20

- Le CCNE s'est prononcé en faveur de l'extension du droit à la PMA pour toutes les femmes. Laetitia Pouliquen analyse les enjeux éthiques d'une telle décision qui pourrait mener, à terme, à une véritable « ubérisation » de la procréation à l'échelle mondiale.

Laetitia Pouliquen est fondatrice de WomanAttitude, cofondatrice et ex-Directrice d'Europe for Family, et auteur de Femme 2.0 - Féminisme et Transhumanisme (Saint-Léger Éditions, 2017).

Le rapport rendu ce jour par le Comité d'Éthique français, le CCNE, en faveur de l'ouverture de la Procréation Médicalement Assistée à toutes les femmes, c'est-à-dire la «fabrication» d'enfants délibérément privés de pères, a des raisons d'inquiéter. Sur un sujet sociétal majeur, la consultation citoyenne est nécessaire mais l'expression de la vox populi sera-t-elle entendue avec une forte majorité En Marche! à l'Assemblée Nationale? Quel contre-pouvoir dénoncera les effets délétères de la PMA et les enjeux industriels et financiers de l'Ubérisation de notre reproduction humaine?

Pourquoi parler d'Ubérisation de la procréation humaine?

Si l'Ubérisation est une pratique économique permettant la mise en contact direct de professionnels et de clients pour l'utilisation de services internationaux, la pratique économique mondiale de la procréation artificielle y ressemble beaucoup par son aspect «plate-forme internationale» mettant en contact direct de nombreux intervenants de plusieurs pays grâce à internet. Concrètement, l'enfant peut être «fabriqué» par plusieurs «parents» provenant de plusieurs pays que les personnes soient fertiles ou pas.

Ne soyons donc pas naïfs: derrière les modes progressistes et les prétendues évolutions sociétales qui désirent affranchir l'Homme de sa contingence, se trouve un marché juteux. L'enfant, lui, sera le grand oublié de l'affaire, ce que nous pourrions tous reconnaître, quelles que soient nos positions éthiques.

Le faux nez de la validation morale par la Cour Européenne des Droits de l'Homme

Deux affaires récemment portées à la Cour Européenne des Droits de l'Homme démontrent que le sujet est plus que jamais d'actualité. La position du président Macron de se ranger à l'avis du CCNE et aux arrêts de la CEDH traduit un abandon moral et de souveraineté. Les deux récentes affaires portées à la CEDH démontrent les impasses juridiques vers lesquelles se dirige le législateur: la première concerne un couple de femmes françaises mariées désireux de bénéficier d'une insémination artificielle avec du sperme anonyme. Face à l'interdiction de législation française, elles ont recours à la CEDH pour contraindre la France à accéder à leur désir. La seconde a trait à la «double maternité» ou «Fécondation réciproque»: deux femmes allemandes en couple réclament toutes deux la reconnaissance de leur statut légal de mère. L'une des femmes est la mère génétique qui a apporté ses ovocytes, fécondés in vitro avec le sperme d'un donneur anonyme, et l'autre femme a donné naissance à l'enfant ; celle-ci est considérée par la loi allemande comme la seule mère de l'enfant.

Le Traité de Lisbonne n'accordant pas de compétence en matière de famille et de santé à l'Union Européenne, c'est donc bien au législateur français qu'il revient de décider, en conscience et sans hypocrisie, du futur de nos enfants et de notre société.

Le marché de la procréation humaine artificielle est un marché mondial très juteux

La réponse médicale de la surmédicalisation de la procréation est-elle adéquate ou serait-elle manipulée par des intérêts financiers majeurs? On dénombre aujourd'hui plus de cinq millions d'enfants dans le monde et 1,4 million en Europe, nés de fécondation In Vitro depuis 1978. En Espagne, 2% des enfants naissent par fécondation in Vitro et en France, 3% des enfants sont des «bébés éprouvette». Le European Journal of Obstetrics and Gynecology and Reproduction Biology fait état d'une hausse conséquente des demandes de fécondations In Vitro alors que le taux d'infertilité, lui, est stable depuis 20 ans.

L'Ubérisation de la procréation humaine est symbolique d'un marché mondialiste libéral qui contourne les lois nationales. Le marché des technologies de reproduction assistée englobe de nombreuses industries et tiers-parties: laboratoires pharmaceutiques et biomédicaux, personnels de santé mentale, cliniques spécialisées en procréation artificielle, laboratoires de séquençage génomique pour dépistage préimplantatoire, banques de gamètes, agences et cliniques spécialisées en GPA, experts juridiques, réseaux mafieux de trafic d'enfants etc… À titre d'exemple, mentionnons que le Danemark est un gros pourvoyeur de sperme anonyme, permettant ainsi aux Suédois et Norvégiens de contourner leurs lois qui interdisent, elles, l'anonymat. L'achat de sperme, sélectionné sur catalogue et livré par courrier express international, varie 250 et 23 000 dollars en fonction des diplômes et des caractéristiques génétiques du donneur.

Les projections de croissance du marché sont de 4.4% par an de 2016 à 2023 pour atteindre les 31,4 milliards de dollars en 2023. La procréation humaine artificielle constitue donc un marché international conséquent, alimenté par un écosystème très vaste.

Bébés In Vitro - Quels problèmes de santé en vue?

Dans un souci d'objectivisation de l'intervention technologique dans la procréation humaine, il est utile de comprendre les dangers recelés par celle-ci ainsi que ses conséquences sociétales.

Dans une publication scientifique norvégienne de 2016 «La PMA peut-elle influencer l'évolution humaine?», des chercheurs norvégiens ont tenté d'évaluer les effets du mode de fécondation sur le développement d'un embryon et d'établir l'existence ou non de changements de génotypes et de phénotypes (expression du génome en fonction de l'environnement) pouvant affecter l'évolution humaine sur le long terme. Les chercheurs soulignent le fait que les embryons sont sélectionnés pour leur robustesse et leur capacité à survivre dans des conditions de laboratoires, transpercés par une pipette, exposés à la lumière et au contact de matières plastiques de la boîte de Petri dans lequel le laborantin va laisser maturer les cellules embryonnaires avant implantation ou congélation. Ils affirment que cette sélection sur le critère de la robustesse va, sur les générations à venir, favoriser ce trait génétique sur d'autres caractères qui se seraient exprimés lors d'une sélection naturelle dans l'utérus de la mère. Les chercheurs norvégiens soulignent aussi que la FIV facilite la propagation des traits génétiquement héréditaires des couples sous-fertiles, dont précisément, la sous-fertilité.

Une étude de 2013 menée par Sven Sandin du King's College de Londres sur 2,5 millions enfants suédois tire des conclusions préoccupantes: les enfants nés par FIV seraient plus susceptibles de souffrir de déficits cognitifs tels qu'un QI bas, et de problèmes de communication ou de socialisation comme l'autisme.

Une autre découverte majeure en Neurosciences datant de 2010 démontre que, durant la grossesse, le fœtus laisse une «trace» cellulaire sur sa mère. Des cellules fœtales, ainsi que des brins d'ADN provenant du patrimoine génétique du père, ont été retrouvées chez la mère plus de trente ans après la naissance de l'enfant. Même si l'épidémiologie n'a pas encore décrit l'empreinte physiologique et génétique de la mère sur l'enfant, la psychologie, elle, le démontre avec force par la description des échanges mère enfant in utero.

Les générations à venir seront-elles toutes psychotiques?

De même que les manipulations technologiques laissent des traces épigénétiques sur l'enfant à naître et que la grossesse laisse des traces cellulaires sur la mère, de nombreux spécialistes de la psychologie de l'enfant affirment, à l'instar du pédopsychiatre Daniel Rousseau, que «tromper un enfant sur sa filiation peut le rendre fou!». Alors, pourquoi l'enfant né de fécondation artificielle est-il une victime? Le psychiatre Benoît Bayle décrit la problématique psychologique de la survivance périnatale des enfants issus d'un tri embryonnaire au cours d'une fécondation In Vitro. Dépressions récurrentes, troubles obsessionnels, prises de risques suicidaires, hospitalisations fréquentes et problèmes identitaires peuvent être associés avec une naissance par procréation artificielle.

Par ailleurs, le séquençage génomique dans le but d'une sélection délibérée de traits génétiques (choix du sexe, couleur des yeux, enfant muet pour un couple de sourds…) va insécuriser l'enfant par rapport à l'amour inconditionnel que ses parents lui portent. Le désir des adultes a donc la préséance sur les droits de l'enfant et ne fait aucun cas de la souffrance psychique engendrée par ce mode de procréation: quelle injustice!

Perspective transhumaniste de l'Ubérisation de la Procréation Humaine

Si l'on ne s'insurge pas contre la pratique de la PMA sans père que le Comité d'Éthique français avalise aujourd'hui, il y a fort à parier que la loi française à l'égard des pratiques de procréation humaine artificielle continuera de s'assouplir. Les générations futures deviendraient alors hors sol, sans famille, ayant plusieurs représentants légaux, plusieurs pays d'origine et de résidence. Celles-ci seraient sélectionnées selon des critères prétendument laissés à la liberté individuelle des parents mais en réalité, choisis par des normes sociales, culturelles et médicales, définissant l'état de santé, d'intelligence et de beauté minimum pour le «vivre ensemble».

Si l'on n'y prenait garde et que toute manipulation technologique sur la procréation humaine devenait monnaie courante, alors l'Homme pourrait devenir une espèce normée par la sélection embryonnaire et les modifications génétiques, et «désenfanté» par l'ingénierie d'externalisation de la procréation humaine. Cette dérive possible serait en cohérence avec l'utopie transhumaniste de l'Homme Augmenté.

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http://www.lefigaro.fr/vox/societe/2017/06/28/31003-20170628ARTFIG00230-pma-pour-toutes-vers-l-uberisation-de-la-procreation-humaine.php