"Il y a amour et amour" Charles Delhez
Par Benedicte De Wagter le mardi, février 23 2016, 13:23 - Lien permanent
L’amour ! Que de malentendus autour de ce mot magique ! Pauvre langue française qui n’a qu’un substantif pour exprimer cette réalité si riche. Par contre, en grec, l’amour à l’intérieur d’une famille (storgè), par exemple, se dit autrement que l’attirance entre un homme et une femme (éros).Différents termes de cette langue évoquent l’amour et peuvent raconter l’histoire du couple qui finit par s’engager dans la durée : éros, philia, agapè.
Tout commence par une attirance – immédiate ou petit à petit réciproque. C’est la montée de la sève au printemps ! Voilà éros. Le sentiment amoureux relève de l’érotique, à ne pas confondre avec la pornographie. Il entre en nous sans notre permission et s’en va de la même façon. Il n’a pas les promesses de l’éternité. Maximum trois ans, disent les sexologues. Le temps se chargera ensuite de défaire ce qui était né si spontanément. L’espèce humaine, comme les autres espèces animales, désire se reproduire… “L’homme doit donner la vie qu’il a reçue, il ne sert qu’à cela”, constate cyniquement René Barjavel dans La faim du tigre.
Quand l’amour s’éveille en nous, on est littéralement obsédé par l’autre. Ce sentiment, dirait Benjamin Constant, est le plus égoïste des sentiments. Et Clamence, dans La Chute d’Albert Camus, le reconnaît sans peine : “J’ai eu un grand amour dans ma vie et cet amour-là, c’est moi-même !” En fait, on est préoccupé par soi-même, par le bien que cela nous fait. C’est le sentiment amoureux qui m’habite que j’aime ! Il peut pourtant être mortifère et détruire. Que l’on se rappelle les amants de Vérone.
Certaines relations font un pas de plus. Voilà philia, l’amitié, qui entre en scène. Cette fois, c’est toi qui m’intéresses et plus seulement moi. Le temps est celui de la construction. Ce sont les heures interminables de confidences. De la séduction, on est passé à l’apprivoisement. Délicieuse complicité.
Il reste le pas de l’agapè. C’est l’amour-don et non plus seulement l’amour-sentiment. L’amour véritable, et non plus les amourettes. Je suis préoccupé par toi (et non plus obsédé), je me sens responsable de toi, j’ai envie que tu sois toi-même, que tu grandisses en humanité, que tu t’épanouisses. Et cela se traduit en des paroles, des gestes, des sentiments. A chaque fois, c’est un véritable miracle, une sortie de soi sans cesse reprise. Car aimer, c’est toujours vouloir aimer. Et il faut parfois se forcer, l’égo restant très fort.
Au début donc, mais pas uniquement, la séduction prend beaucoup de place. L’amour oblatif n’est pas toujours au rendez-vous quotidien. C’est précisément pour cela qu’il faut la “fidélité”. Elle permet d’aller plus loin, de dépasser le jeu des séductions, d’être amené, par les circonstances de la vie, toujours imprévisibles, à aimer l’autre pour lui-même, au moins de temps en temps. La durée vérifiera et purifiera. Aimer, c'est poursuivre ensemble le chemin, par monts et par vaux. De chaque moment de crise, car il y en aura, l'amour sortira plus fort encore. Regardez le bateau qui descend le fleuve. Parfois, il se retrouve emmuré dans une écluse. Il n’y a plus d’horizon. Quand les portes de devant finissent par s'ouvrir, après un temps de patience, un paysage nouveau se dévoile et l’embarcation, désormais un niveau plus bas, comme ayant gagné en profondeur, peut continuer sa navigation et s’approcher de l'océan.
La nature ne nous a pas programmés pour aimer en vérité, mais simplement pour être attirant et nous laisser attirer. Elle nous offre des “pulsions”, à nous de les transformer en amour véritable, d’articuler éros, philia et agapè pour qu’ils se fécondent mutuellement. A la manière de St Paul, je dirais volontiers : J’aurais beau avoir les plus beaux sentiments du monde à ton égard, être passionné par toi, si je n’ai pas l’amour, je ne suis rien. L’amour-agapè, bien sûr ! Tel est le miracle que l’homme et la femme peuvent opérer.
Charles DELHEZ Chronique La Libre Belgique 12 février 2016
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