: « Attendez, je vais chercher un prospectus, pour voir ce qu’ils disent… Euh… » J’entends des bruits de papiers remués, et des grattements de gorge. Je dois bien constater que ce n’est pas très pro, pour une femme payée par le gouvernement pour répondre à ce genre de questions. Elle finit par se souvenir qu’il est possible en France d’accoucher sous X, et me donne l’adresse du site internet du CNAOP, « Conseil National pour l’Accès aux Origines Personnelles », c’est-à-dire l’organisme qui permet aux enfants nés sous X de rechercher leurs géniteurs s’ils le désirent. Merci pour l’info.

 

Ce moment d’hésitation passé, on revient aux choses sérieuses : l’avortement par aspiration. Est-ce que ça fait mal, demandè-je ? « Oui, un peu comme les règles. Mais les femmes qui témoignent parlent surtout d’un sentiment de soulagement. Et puis, sachez que ça ne vous empêchera pas d’avoir des enfants plus tard ! ». Et d’ajouter : « Oui, car on accueille aussi des femmes qui veulent des enfants, mais qui n’y arrivent pas tout de suite. Vous savez, tout ça, c’est aussi dans la tête. C’est amusant, quand on y pense. Quand on n’en veut pas, ça marche, puis quand on en veut, ça ne marche plus ! » Mais ce n’est qu’un « pur hasard, qui n’a rien à voir avec l’IVG ! »

 

D’ailleurs, il faut faire attention aux anti-IVG, qui se servent de ce type d’arguments pour vous faire peur. « Je dis ça pour vous mettre en garde, comme vous avez l’air de chercher des témoignages. Il ne faut aller que sur les sites du gouvernement et du Planning Familial. » (Sites qui, rappelons-le, ne proposent aucun témoignage de femmes ayant décidé de garder leur bébé, ni aucune information sur les démarches à faire pour cela.)

 

Désireuse de poursuivre sur cette ligne, le ton se fait plus pressant : « Attention néanmoins à ne pas perdre trop de temps, puisque vous êtes déjà à deux mois ! ». Je rebondis aussitôt : « Que se passerait-il si je dépassais la date-limite ? » – « Nous, au Planning Familial, on pense que ça serait mieux de supprimer cette loi qui fixe une date-limite. C’est pourquoi on est prêts à accompagner les femmes jusqu’à l’étranger s’il le faut. Mais bon, là, je parle en militante. » En militante. La voilà l’information neutre et bienveillante subventionnée par le gouvernement.

 

Je m’apprête à raccrocher sur ces bonnes paroles, quand la gentille dame insiste une troisième fois pour me donner le numéro du centre d’IVG le plus proche. Je l’accepte, et la dame de conclure : « Je sais que c’est un choix difficile qui vous attend. Mais vous savez, dans la vie, tous les grands moments sont affaire de choix difficiles : choisir ses études, choisir son compagnon, acheter un appartement… Bon courage pour ce choix-là ! »

 

J’ai 23 ans, je suis en couple depuis deux ans. Je suis agrégée de philosophie. Et je suis enceinte. Toutes ces informations sont parfaitement exactes. (A ceci près que je suis enceinte de 5 mois et non de 2. Je l’avoue, j’ai menti, pour les besoins de la cause.) Voilà les informations que j’étais prête à fournir à mon interlocutrice, pour voir en toute bonne foi ce qu’elle conseillerait à une personne dans ma situation qui hésiterait à garder son bébé. Je les lui aurais communiquées de bonne grâce, si seulement elle me les avait demandées. Mais voilà, toute occupée qu’elle était à me répéter que l’IVG était un choix personnel et qui dépendait de mon histoire, elle n’y a pas pensé. Qu’est-ce que cela veut dire ? Que quelle que soit la situation de la personne qui appelle, la réponse sera la même : une prolifération de détails sur l’IVG et un silence atterrant sur toutes les autres alternatives. J’aurais pu être une gamine de 16 ans violée par son beau-père, ou une cadre supérieure en couple depuis dix ans, cela n’aurait rien changé. Voilà pour l’argument de la détresse.

 

Venons-en maintenant à l’argument du choix. Outre le fait qu’on peut difficilement aider quelqu’un à faire un choix personnel si on ignore jusqu’à son âge, on peut au moins présumer qu’un choix rationnel présuppose une connaissance éclairée des différentes alternatives qui s’ouvrent à nous. Or ici, si l’IVG est présentée sous son meilleur jour, avec forces détails très rassurants, on ne peut que déplorer l’absence affligeante d’information sur toutes les autres possibilités qui s’offrent à une jeune femme enceinte. La même disproportion est évidente si l’on consulte le site ivg.gouv.fr, où l’on trouvera toutes les informations juridiques et techniques sur ce « droit fondamental de toutes les femmes », mais absolument aucun témoignage personnel, et rien, absolument rien, sur les aides proposées aux femmes qui choisissent de garder leur bébé, sur les associations (comme les foyers Marthe et Marie, par exemple : http://www.martheetmarie.fr/) qui peuvent les soutenir, ni même sur l’adoption et l’accouchement sous X.

 

C’est ce que j’appellerais une mystification par omission. Une rétention d’information. Une manipulation idéologique. Qu’on ne s’étonne pas ensuite si les sites « anti-IVG » prolifèrent.

 

Dimanche, je participerai à la Marche pour la Vie, pour demander le droit des femmes à disposer de leur corps. Pour qu’on ne leur confisque pas leur choix. Pour qu’on les informe vraiment sur l’avortement et ses alternatives.

 

Mais surtout, en tant que femme enceinte, j’irai manifester pour qu’on me rende mon propre corps et celui de mon enfant. Mon enfant, qui n’est pas une cellule-œuf. Mon corps, qui n’est pas une enveloppe manipulable, que l’on peut remplir et vider à loisir. Parce que le prix à payer pour que le Planning Familial puisse diffuser son ignorance, ce sont les femmes enceintes qui le payent. Comment ?

 

Réfléchissez bien. A l’hôpital, comme me l’a bien dit la gentille dame du Planning Familial, les accouchements et les consultations anténatales se pratiquent au même endroit que les avortements, et par les mêmes personnes. Mon gynécologue ausculte le cœur de mon bébé avec le même instrument qui lui a servi à ausculter le cœur d’un « tas de cellule » cinq minutes auparavant. Quand il regarde mon ventre, il n’y voit pas un lieu de vie. Il y voit le même organe que celui qu’il a dû cureter l’heure précédente. Quand je suis allée voir mon médecin pour la première fois, la première chose qu’il m’a demandée, c’est si ma grossesse était désirée. Le prix à payer pour que l’avortement soit un acte médical comme un autre, c’est que la grossesse soit une maladie comme une autre. Le prix à payer pour libérer le corps de la femme qui avorte, c’est d’aliéner celui de la femme qui accouche. Pour que vos corps puissent être manipulés sans conséquence, le mien devient lui aussi un réceptacle contingent d’un parasite appelé ou non à se développer. Allez consulter les forums de femmes enceintes, vous verrez comment elles vivent le regard et les gestes que posent sur elles des gynécologues-techniciens, qui les branchent et les entaillent, qui les tâtent et les pèsent, comme si elles-mêmes n’étaient plus, tiens donc ! qu’un vulgaire tas de cellule. Je le supporterais aisément, si cela n’affectait pas également le corps de mon enfant, qui n’est pas considéré comme tel par les gynécologues.

 

Quand même, à cinq mois ! me rétorquerez-vous. C’est oublier qu’il n’y a pas de date-limite pour avorter un bébé trisomique. Et que de toute façon, nous au Planning Familial, on voudrait bien la supprimer, cette date limite. Et puis quand bien même, tenez, en Suisse, elle n’existe même pas !

 

Dimanche, je manifesterai contre le déni et l’ignorance qui entourent cette difficile question. Je manifesterai que la vie qui grandit en moi est plus que le développement d’une tumeur. J’irai marcher avec mon corps de femme enceinte, ce corps dont, que vous le vouliez ou non, je ne dispose plus, parce que je le partage.

 

Marianne Durano

http://cahierslibres.fr/2015/01/aujourdhui-jai-appele-le-planning-familial/


Commentaire de RYL: Nous insistons une fois de plus sur l'importance de la "connaissance éclairée" de tous les aspects de la situation pour pouvoir faire un vrai choix personnel