, tant ces sujets peuvent être tabous dans les familles, ou même entre amis. Cette jeune enseignante d'un collège réputé difficile de l'Oise (60 % de réussite au brevet des collèges) préfère garder l'anonymat, mais elle tenait à témoigner sur la discussion qu'elle a eue avec sa classe de sixième, à l'issue de la projection du film de Céline Sciamma, au mois de novembre.  Pour mémoire, Tomboy, qui signifie « garçon manqué » en anglais, raconte l'histoire d'une petite fille de 10 ans qui se fait passer pour un garçon auprès de ses nouveaux voisins. Une relation se noue avec une fillette du quartier. Les parents l'apprennent et l'ange blond aux cheveux courts finit par dévoiler son véritable prénom à sa jeune amoureuse : Laure, et non Mickaël.

Ce film est actuellement dans la ligne de mire d'une frange de la droite ultraconservatrice qui demande dans une pétition l'interdiction de le projeter dans le cadre de l'école – depuis septembre 2012, Tomboy est intégré dans les programmes « Ecole et cinéma », et aussi « Collège au cinéma », deux dispositifs soutenus par le ministère de l'éducation nationale et par le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC). 

« ON AURAIT DÛ ÊTRE PRÉVENUS »

Après la séance, l'enseignante du collège de l'Oise a découvert les réactions de ses élèves de sixième : « Certains m'ont dit : “L'homosexualité, c'est péché.” »D'autres ont réagi sur le thème « si j'aurais su j'aurais pas venu », en lui expliquant la chose suivante : « On n'aurait pas dû voir ce film. Ou alors on aurait dû être prévenus. Alors, on n'aurait pas assisté à la projection. » Enfin, un troisième groupe a balayé le sujet d'un revers de la main : « C'est dégueulasse, mais ils font ce qu'ils veulent. » Elle a pu, tout de même, échanger avec eux sur la construction du genre, sur les stéréotypes des jeux chez les enfants. Comment devient-on un homme, une femme ?, etc.

Une élève issue d'une famille ivoirienne, et chrétienne, est venue la voir à l'issue du cours. « Pendant le débat, elle avait trouvé dégoûtant le baiser entre les deux filles. A la fin, elle m'a quand même dit : “Je vais réfléchir à ce qui a été dit.” Comme si la question de l'homosexualité lui semblait dédiabolisée », raconte l'enseignante. Mais la mère de cette élève d'origine africaine n'a guère apprécié. La semaine suivante, elle est venue voir l'enseignante à la fin de journée de cours :« Elle était furieuse, estimait que le film avait vocation à légitimer l'homosexualité et à faire basculer sa fille vers le côté obscur. Elle demandait à voir le principal du collège, que j'ai aussitôt informé… Elle a aussi contacté d'autres parents. Mais je ne crois pas qu'elle ait donné suite. »

L'enseignante a profité de cette expérience pour distribuer à ses élèves la charte de la laïcité, en leur disant, en substance : la religion, c'est à la maison, et pas à l'école. « Grâce à ce débat sur Tomboy, dit-elle, j'ai ressenti que l'on peut encore sortir du processus de fanatisation. Le cinéma peut ouvrir les consciences, et l'école est là pour enlever les carcans moraux. »

§  Clarisse Fabre 
Journaliste au Monde

Commentaire de RYL :

« Si j’aurais su, j’aurais pas venu ».

C’est vrai que la polémique se poursuit autour du film « Tomboy ».

Et il nous semble important de prendre le temps d’éclaircir certaines questions essentielles.

1)     « La religion, c’est à la maison, et pas à l’école. » Aucune objection à cette remarque, dans le cadre de la laïcité. Mais si on remplace la religion par une idéologie toute neuve (le « gender ») , mise en avant de manière très persuasive par une certaine tranche de la population, ne devrait-on pas prendre le temps de s’assurer du côté scientifique, pertinent, réaliste, ou vraiment démocratique de cette nouvelle vision des choses. ?

2)     C’est précieux d’enlever des « carcans moraux » s’ils se révèlent nocifs, mais à condition d’être sûrs du caractère non-nocif des nouvelles modes proposées.

3)     « C’est déguelasse » (mot à faire évidemment corriger immédiatement par l’élève, car il a le droit d’exprimer son dégoût, mais pas en terme irrespectueux !!) Néanmoins, a-t-on le droit de forcer les réticences des élèves, ou doit-on se souvenir du sage conseil de Jules Ferry dans une lettre aux instituteurs : « Au moment de proposer aux élèves un précepte…demandez-vous si un père de famille, je dis un seul, présent à votre classe et vous écoutant pourrait de bonne foi refuser son assentiment ….Car ce que vous allez communiquer à l’enfant, ce n’est pas seulement votre propre sagesse ; c’est la sagesse du genre humain, c’est une de ces idées d’ordre universel que plusieurs siècles de civilisation ont fait entrer dans le patrimoine de l’humanité. »

4)     « Sortir du processus de fanatisation » : tout à fait d’accord, à condition de ne pas basculer dans un autre.

Tout ceci mérite réflexion avant d’aller de l’avant. Y a-t-il un risque, en cherchant à réconforter une petite tranche d’élèves qui ont des doutes sur leur genre, de déstabiliser la majorité de ceux qui n’en ont pas ? C’est une question qu'il faudrait prendre le temps d' analyser de manière pluraliste et sérieuse, entre gens de métier (pédopsychiatres, psychologues, enseignants, éducateurs ...) et parents.