Entretien avec Bénédicte De Wagter.

Bénédicte De Wagter consacre le meilleur de son temps à l’éducation affective et sexuelle des jeunes. D’une part elle rencontre depuis une vingtaine d’années sur le terrain des jeunes de 12 à 19 ans. D’autre part elle est fondatrice du mouvement « Respect Youth Love » qui soutient le projet d’une éducation affective de qualité au niveau national et international.

Quelles sont les causes des grossesses de mineures d’après vous ?

Les causes de leur grossesse peuvent être multiples et souvent bien cachées. Souvent, et sans même en être conscientes, elles ont besoin de se prouver des choses par rapport à la maternité ou à leur histoire personnelle. Parfois, quand leur mère a avorté dans le passé, elles en gardent des séquelles cachées. Philippe Ney a beaucoup développé ses recherches sur le syndrome de l’enfant survivant. Même si les enfants nés d’une mère qui a avorté ne sont pas au courant de l’IVG, ils devinent quelque chose, sont plus souvent perturbés psychologiquement ou souffrent d’un manque de confiance en eux. Quand une jeune-fille devient femme, elle veut parfois se prouver qu’elle peut tomber enceinte. Il est curieux de constater de nombreux cas de jeunes- filles nées d’une mère mineure elle-même. Elles tombent souvent enceintes exactement au même âge que leur propre mère. C’est une reproduction d’un schéma transgénérationnel, et une façon de se rassurer sur leur propre fertilité. J’ai connu un cas de jeune fille qui était tombée 5 fois enceinte et avait avorté 5 fois, seulement pour se prouver qu’elle pouvait effectivement être enceinte. La majorité des jeunes-filles que je rencontre n’ont pas fait consciemment exprès de tomber enceintes; elles évoquent imprudence, oubli , accident …ou même absence de contraception.

 En résumé, il me semble qu’il y a trois grands facteurs auxquels il faut être attentif quand on cherche à comprendre ce problème : les facteurs transgénérationnels, la psychologie du jeune-même, et les caractéristiques de l’adolescence. Mais je pense que nous aurons l’occasion d’en reparler.

 

                                     

 

Que pensez-vous de la façon dont les jeunes utilisent la contraception ?

Je tiens à souligner qu’il existe beaucoup d’échecs de contraception chez les jeunes. Ce n’est pas uniquement un problème lié au manque d’instruction ou à la précarité du milieu social. Le problème de la contraception se pose dans tous les milieux, même favorisés, dans la mesure où ceux-ci sont souvent des milieux hyper- protégés et sont donc également vulnérables. Une des difficultés majeures de la contraception est, je pense, qu’elle n’est pas adaptée au mode de vie des jeunes : il y a une discipline à avoir, il faut déjà être assez mûr et responsable pour l’utiliser régulièrement. Du côté du préservatif masculin, le fait qu’il diminue les sensations ressenties est un obstacle dans l’esprit de beaucoup de garçons. Et les erreurs de manipulation sont beaucoup plus fréquentes chez les jeunes. Ils sont en effet plus impulsifs, fougueux ou inexpérimentés.

 Il me semble aussi utile d’évoquer ici les effets secondaires des produits hormonaux. Il y a en effet des études sérieuses qui font état de dépression, perte de libido, problèmes cardiovasculaires et autres liés à la prise de la pilule. Sans parler des cancers de sein qui sont accélérés par les oestrogènes. Certaines filles ne supportent pas non plus physiquement les implants (je peux témoigner de cas frappants rencontrés dans la polyclinique de mon mari). La pilule du lendemain me paraît aussi fort agressive pour la santé. D’ailleurs, on évoque de plus en plus que les fortes concentrations d’hormones dans les urines féminines ont un impact écologique et pourraient fragiliser la fertilité des hommes. Enfin, là encore, l’efficacité de cette contraception du lendemain est loin du 100%. Bien sûr, il y a d’autres aspects positifs ou prophylactiques des hormones. Mais ma question reste quand même: respecte-t-on assez le principe de précaution élémentaire en médecine et a-t-on assez de recul pour voir tous les dangers d’un emploi généralisé et abusif ? Le fait qu’on parle de retirer la pilule Diane du marché, alors que c’était la pilule la plus conseillée aux jeunes que j’ai rencontrés, montre qu’il faut rester lucide et prudent, et éviter tout excès dans ce domaine.

Quelle contraception préconisez-vous alors ?

Je recommande aux jeunes de ne pas se lancer trop jeunes à corps perdu dans la sexualité. Cette  hypersexualisation précoce handicape trop souvent la suite de leur vie. Je pense que l’adolescence est une période de vie qu’il faut vivre à fond, où il faut développer ce qu’on est, s’épanouir physiquement, mentalement, psychologiquement et culturellement et entretenir des amitiés sincères. On n’insistera jamais assez sur l’importance de l’amitié qui constitue la meilleure préparation possible à une relation amoureuse épanouissante. D’ailleurs j’ai toujours pensé que garder des établissements scolaires non mixtes, jusqu’au milieu du secondaire en tout cas, aurait eu l’avantage de mettre en valeur les amitiés plutôt que de mettre à la hauteur des jeunes des relations trop sexualisées, qui les entraînent prématurément trop vite et trop loin.

 Le cerveau finit de se développer physiquement aux environs de 23 ans. Les relations affectives avant ce moment-là sont donc statistiquement très fragiles. Les adolescents ne savent pas encore vraiment qui ils sont : ils ont donc beaucoup de mal à découvrir qui ils cherchent.  Ils vivent beaucoup de ruptures difficiles, de désillusions qui vont les handicaper dans leurs relations amoureuses futures. Je pense que l’on peut vivre à fond sa vie d’adolescent sans sexe, et qu’attendre l’homme ou la femme de sa vie pour avoir sa première relation sexuelle semble certes vieillot, mais peut représenter la meilleure solution pour se développer de façon équilibrée et harmonieuse, en attendant la personne qui en vaudra vraiment la peine. Quand, dans mes cours d’éducation affective et sexuelle, je pose la question de l’âge auquel les jeunes voudraient avoir leurs premières relations sexuelles, ils aboutissent eux-mêmes majoritairement à la conclusion qu’il n’est pas souhaitable de trop se  précipiter.

 J’ai été particulièrement choquée par un fascicule que tous les parents d’enfants de 12 ou 13 ans avaient reçu dans leur boîte aux lettres. Il y avait des pages sur comment se faire un look d’enfer, les relations homosexuelles etc… avec un message de fond qui était « tu peux le faire où tu veux, quand tu veux, et avec qui tu veux pour autant que tu te protèges. » Cette prévention uniquement « technique », à la limite de l’incitation, me semble particulièrement inadaptée et inefficace !!! Le corps est précieux, il enregistre tout ce qu’on vit. Il faut préparer nos enfants à vivre de belles choses dans de bonnes conditions. Je le répète, l’adolescence est un âge passionnant mais fragile. Les jeunes vivent souvent des relations sexuelles dans de mauvaises conditions parce qu’on ne leur a jamais préconisé d’attendre d’être dans un contexte affectif  vraiment épanouissant et stable. Ce que j’entends trop souvent, ce sont des témoignages de dégoût, de tristesse, de mécontentement ou d’humiliations à propos des premières fois.

 

 

Quels problèmes juridictionnels sont soulevés par la sexualité des jeunes ?

Je trouve que le combat pour baisser l’âge de la majorité sexuelle est incohérent. Alors qu’on attend 18 ans pour permettre aux enfants de voter, de conduire une voiture et pour les considérer comme responsables, on considérerait qu’ils sont à même d’être sexuellement responsables avant cela ? Cela me paraît illogique. C’était un des thèmes mis en avant lors du démarrage de « Respect Youth Love », qui s’appelait initialement « Responsible Young Lovers ». C’est comme si on conseillait aux adolescents de se mettre prématurément au volant d’une voiture puissante, en leur faisant croire qu’ils ne courent aucun risque puisqu’ils ont ceinture de sécurité, air-bags et casque. Au niveau de la sexualité, ils ne sont « protégés » ni de l’accident de contraception, ni du vécu immature et traumatisant, ni de la déception amoureuse….. Quant au projet d’un éventuel abaissement à 14 ans, les jeunes eux-mêmes sont majoritairement réticents et disent que « ça inciterait à faire pire, plus tôt ! »

Que pensez-vous de la prévention sexuelle telle qu’elle est pratiquée en Belgique ?

D’abord, il est étonnant de voir que les campagnes qui incitent à avoir des relations sexuelles protégées sont instantanément suivies d’un pic de contamination d’IST ou de grossesses indésirées chez les jeunes ! Soyons réalistes : ce type de prévention est totalement inadapté . D’une part, les adolescents adorent prendre des risques, et braver les interdits. Leur intimer l’ordre de se protéger est donc inefficace puisque spontanément, ils préfèrent faire le contraire de ce qu’on leur a conseillé. De plus, leur faire miroiter une protection 100% sûre avec la contraception est de l’ordre du mensonge : c’est donc comme les inciter à jouer avec le feu. Il faut attirer leur attention sur le sens et les conséquences de leurs propres comportements. Distribuer des préservatifs peut également avoir un effet d’incitation assez désastreux.

 Je suis pour plus d’EVRAS c'est-à-dire d’éducation à la vie relationnelle affective et sexuelle. Lors de rencontres avec les jeunes, je commence toujours par parler de l’être humain, leur montrer à quel point le corps, le cœur et l’esprit sont étroitement liés. Or dans notre société hypersexualisée, il ne semble y avoir que le corps qui compte. Dans plusieurs classes de primaire où j’ai été, un garçon sur deux avait déjà regardé un film pornographique ! Quand on parle à des plus jeunes, il faut être très attentif à ne pas les choquer et à respecter leur stade de développement du moment ; cela demande beaucoup de tact ! Plutôt que de dire qu’ils peuvent avoir des relations sexuelles tant qu’elles sont protégées, j’essaye d’arriver au cœur de leurs interrogations à eux, et je pars de cela pour construire mes animations. Il faut une formation solide, et bien connaître les stades de développement de l’enfant. Combien de fois ai-je rencontré de très jeunes qui se disaient choqués, dégoûtés, traumatisés par des informations qu’ils n’étaient pas prêts à recevoir sous une forme aussi crue !

 Il me semble important de prendre le temps d’éveiller les enfants aux dangers de la pornographie, et également aux pièges de ce fantastique outil qu’est  Internet. C’est un vrai traquenard pour les jeunes quand ils l’emploient sans jugeote ! De nombreuses enquêtes et reportages récents à ce sujet soulignent l’importance des dangers courus : addiction, banalisation, idées fausses, jeunes-filles entraînées inconsciemment dans la prostitution….

Le plus difficile reste d’atteindre les familles : c’est pour moi LA difficulté principale. Depuis 20 ans, je n’ai jamais rencontré de vrai problème avec les jeunes, puisque dans la plupart des cas,ils me confirment que mes conseils rejoignent le fond de leur cœur. En revanche leurs parents ont tout un passé idéologique qu’il est difficile de contrer. Ceux-ci se sont battus pour une libéralisation globale, dans le contexte de la révolution sexuelle et féministe, et ne sont pas prêts à faire la moindre concession, même quand les choses ont été poussées trop loin et se sont déconnectées du bon sens. C’est au niveau de cette génération (la mienne soit dit en passant), que je me heurte souvent à un refus catégorique de repenser certaines choses en tenant compte de tous les aspects de la réalité. Je note au passage que les familles musulmanes sont parfois plus réceptives et sensibles aux idées comme attendre la personne avec qui on fondera une famille pour donner son corps etc… Un des défis de l’avenir de l’éducation affective dans notre pays, et à Bruxelles particulièrement, sera de trouver un équilibre entre les visions de la femme musulmane et occidentale : il y a vraiment là à trouver un compromis équilibré pour une éducation commune. C’est un chantier auquel il est urgent de s’attaquer !

Faut-il aborder le désir de grossesse avec les jeunes filles ?

Je pense qu’il existe un désir de grossesse conscient ou inconscient chez beaucoup de jeunes filles, mais que cela reste tout à fait raisonnable et bien géré pour celles qui ont un vécu sain, et qui veulent des enfants pour plus tard. En revanche, celles qui ont eu un vécu blessant ont tendance à le refouler, et c’est alors que cela devient dangereux pour elles-mêmes. Par exemple, quand on a l’impression d’être cruellement en manque d’amour dans une famille déchirée, tomber enceinte est une façon de signaler qu’il y a souffrance. Un des nombreux exemples poignants que j’ai rencontrés, est celui de cette toute jeune-fille (12 ans) qui couchait avec le fils du nouveau copain de sa mère car, dans le contexte du divorce conflictuel de ses parents, c’était la seule personne qui lui donnait un peu de tendresse ; elle me confiait que, si elle tombait enceinte, cela attirerait peut-être enfin l’attention de ses parents…

Alors, pour répondre à votre question, faut-il systématiquement l’aborder devant des groupes de jeunes ? On peut leur dire que le désir de maternité est bien présent dans le cœur de la plupart des femmes, qu’il est bon d’en prendre conscience, mais qu’il est essentiel de réfléchir au moment opportun pour laisser ce désir aboutir à sa réalisation. Dans plusieurs pays, il existe des programmes qui font prendre conscience aux jeunes de ce que représente concrètement l’accueil d’un enfant. Il est sans doute bon qu’ils y réfléchissent à temps.

 

 

Vers qui se tournent les jeunes filles quand elles apprennent leur grossesse ?

Les premières au courant sont généralement les meilleures copines. Il est absolument nécessaire que les jeunes filles aient un interlocuteur extérieur à qui se référer en toute confiance quand elles apprennent leur grossesse. Et il faudrait idéalement que cette personne soit assez formée pour pouvoir gérer ce genre de confidences de manière adéquate.

Qu’en est-il de la prise de décision en ce qui concerne le bébé ?

Ce serait tellement important que les jeunes filles prennent le temps de percevoir le désir de leur cœur. Je trouve que l’entretien pré-IVG est souvent fait à la va-vite. Il semblerait qu’il ne soit même plus obligatoire en France. Or, elles ont besoin de temps et d’écoute empathique pour rejoindre leur désir le plus profond, savoir quelles ressources elles ont, tout comprendre de leur vie pour savoir ce que l’arrivée ou non du bébé implique. Il ne faut pas manipuler leurs sentiments. Il faudrait prendre le temps de bien les connaître, et ça, ce n’est souvent pas fait. Pas à coup de phrases comme « Ce serait mieux pour toi de… » ou- , « à ton âge, il n’y a pas d’autre solution que… ».

Je souligne en passant combien le terme d’ « Interruption Volontaire de Grossesse » me semble hypocrite et inadapté. « Interruption » ? Ce fœtus-là ne reviendra jamais à la vie, et cette grossesse-là ne reprendra jamais son cours ! « Volontaire » : rejoint la volonté de qui ? Des parents, du copain, de l’entourage ? Là encore, un exemple parlera mieux qu’une théorie : jeune-fille mineure enceinte par rupture de préservatif. Son copain est majeur. Elle désire absolument garder l’enfant et ne veut pas entendre parler d’avortement. Mais les parents qui veulent étouffer le scandale lui disent que si elle le garde, ils poursuivront son copain pour détournement de mineur.

 On peut également se poser une question : pourquoi la sécurité sociale prend-elle totalement en charge l’IVG ? Et pourquoi par ailleurs les jeunes filles qui gardent le bébé  disposent-elles de si peu de soutien officiel propice au bon développement de leur grossesse et du bébé ?  Ne pensez-vous pas également qu’il y a certaines incohérences dans un Etat dans lequel on dépense des sommes faramineuses pour implanter la vie coûte que coûte dans l’utérus de femmes qui ont des problèmes de stérilité, alors que pendant ce temps d’autres éliminent la vie à tour de bras, et qu’il soit enfin si difficile et long de mettre en place un processus d’adoption pour ceux qui voudraient accueillir un enfant à aimer ? Ces trois dimensions me semblent fort contradictoires, et j’ai quelque peine à en voir la cohérence. Ne pourrait-on pas faire certains pas en avant pour mieux rationnaliser l’accueil de la vie naissante ?

Que pensez-vous de l’IVG, de la façon dont elle est pratiquée ? de  ses conséquences sur la vie des jeunes filles ?

La discussion sur le sujet sensible de l’avortement est trop souvent réduite à une question idéologique. Penchons-nous sur les réalités objectives: comment refuser de voir que l’avortement intervient à un moment où le fœtus est bien vivant, et humain ? Il a une colonne vertébrale, deux lobes de cerveau un cœur qui bat au bout de 21 jours (moment où il est d’ailleurs trop tôt pour pratiquer un avortement). D’ailleurs pourquoi le fœtus serait humain à partir du troisième mois de grossesse et pas avant ? La taille est-il un facteur d’humanité ? Ce débat me semble ne pas tenir compte de données scientifiques irréfutables. Pourquoi ?

J’ai moi-même vécu mai 68, et ne suis absolument pas opposée à une dépénalisation (je dis bien dépénalisation, et pas banalisation ou promotion !) de l’avortement ; en effet, il me parait souvent cruel de rajouter à la souffrance de l’avortement la souffrance d’une procédure judiciaire traumatisante, et il semble médicalement souhaitable  d’éviter autant que possible les avortements clandestins lourds de conséquences physiques. Le problème, c’est que cette loi a été largement dépassée par une lutte idéologique. On est passé d’un extrême à l’autre. La  révolution sexuelle de 68 a été très positive, elle était absolument nécessaire à bien des égards. De même, il était grand temps que la révolution féminine redonne une place aux femmes ! Mais tout ça a fini par se transformer en idéaux militantistes, déconnectés du bon sens. Désormais, on a même plus le droit de montrer des réticences face à des dérives, ou de vouloir un peu encadrer les choses. Des médecins qui argumentaient pour un meilleur encadrement de l’IVG ont été renvoyés des plannings familiaux, et le danger serait que ce soit désormais notre liberté de penser qui soit niée. L’accès pour les jeunes à une information complète, honnête et nuancée dans ce domaine me semble vraiment essentielle !

Il faut aussi penser aux conséquences physiques des avortements : on sait entre autres (mais on ne le dit jamais), que c’est un accélérateur potentiel du cancer du sein. En effet, au début d’une grosses, les cellules du sein se développent à grande vitesse. Quand on interrompt celle-ci, ces cellules restent à un stade intermédiaire particulièrement vulnérable qui peut entraîner des dégénérescences cancéreuses. 

Il faut rendre accessible au public les études sur les conséquences des IVG. Il y a des conséquences psychologiques et psychiatriques graves qui peuvent se révéler jusqu’à 15, 20 ans ou plus après l’IVG. Ce n’est pas et ne sera sans doute jamais un acte banal. J’ai rencontré trop de femmes blessées. Dans un corps fait pour donner la vie, la supprimer n’est jamais anodin pour l’organisme et le psychisme. Le corps a une mémoire, il se souvient qu’il aurait dû donner la vie et cela a des conséquences sur le psychisme. Je m’inquiète fort de cette banalisation de l’IVG. Les IVG à répétition se multiplient et atteignent de plus en plus les jeunes. L’IVG est tellement facilement accessible que beaucoup de filles n’utilisent même plus la contraception. C’est un véritable effet pervers. Trop de jeunes que je rencontre me tiennent des discours du genre : « L’IVG, c’est cool. Tout est remboursé. » ou encore « L’IVG, c’est le plus facile : quelques heures de clinique et on n’en parle plus. » Cela me paraît un peu court et un peu réducteur !!

 Un autre aspect qui me paraît important serait un accompagnement psychologique renforcé pour les jeunes filles qui vont ou qui ont avorté ; il serait primordial de ne pas les laisser seules dans cette souffrance. Nier, étouffer ou banaliser la souffrance est pervers. Même des psychologues favorables à l’avortement comme Stephane Cherget soulignent la nécessité d’un soutien psychologique adapté.

 Un avortement reste dans les faits réels la suppression d’une vie humaine et ne sera donc jamais un acte banal. Il doit donc être évité à tout prix ! D’où la question cruciale d’une prévention ajustée !!!

Qu’en est-il des filles qui ont gardé le bébé, comment vont-elles ?

Toutes celles que j’ai rencontrées le vivaient plutôt bien. Quand elles sont une structure suffisante derrière elles, elles trouvent des solutions et ont l’air heureuses. Elles lient souvent des liens très forts avec le bébé mais il y en a aussi une certaine proportion qui le donne à l’adoption pour reprendre sa vie personnelle. Beaucoup ne sont pas en couple, et ont été lâchées par le petit copain. D’où l’importance cruciale d’éduquer les garçons à la responsabilité, car l’éducation des enfants devrait si possible se faire à deux !

Et les enfants nés de mères mineures, vous en connaissez ? Comment vont-ils ?

J’en ai vu une petite quinzaine. Il y en a qui vont très bien et d’autres qui, à cause de l’absence de père, posent des problèmes propres à la monoparentalité. Surtout à partir de l’adolescence, le problème identificatoire a tendance à remonter fortement et là, je le répète, le manque de père est très déstabilisant.

Quelles recommandations considérez-vous prioritaires ?

D’abord mettre en place une EVRAS de qualité. Une éducation qualitative, qui tienne compte de toute la personnalité du jeune, et pas seulement une prévention technique !

 Ensuite arrêter l’incitation à la sexualité, qui augmente systématiquement le nombre de grossesses non désirées. Les filles tombent enceintes de plus en plus jeunes et c’est inquiétant. Il y aurait un effort énorme à fournir au niveau des médias : quelle image de la sexualité leur propose-t-on dans leurs feuilletons ou émissions radiophoniques préférés, sur leurs sites Internet favoris….. ? Un des projets prioritaires de Respect Youth Love serait de faire une campagne en ce sens. Pourquoi ne pas aider les ados à inventer des videos, power-points, sketches, impros sur des messages d’éducation affective de qualité, mis en langage-jeunes, et leur permettre de les répandre sur You Tube, Facebook…Cela pourrait entraîner une joyeuse prolifération de réalisations qui les toucheraient et les aideraient à se trouver des chemins de vrai épanouissement…

 

Enfin et surtout, prendre le temps de rencontrer longuement les jeunes et leur poser des questions essentielles : Qu’attends-tu de la vie ? Qu’attends-tu de l’amour ? C’est quoi pour toi être heureux ? Prendre le temps d’écouter leurs problèmes, leurs souffrances profondes, comprendre l’enjeu de leur existence, rejoindre leurs désirs profonds. Le rêve qu’une majorité des jeunes rencontrés me partagent : rencontrer quelqu’un qu’ils aiment et être aimés en retour ! La plupart d’entre eux rêvent du prince charmant ! Et ceux qui n’en rêvent pas sont ceux qui n’osent plus en rêver, car ils ont été meurtris par l’existence. Quand je demande en classe ce qu’est pour eux l’amour, les trois mots les plus souvent cités sont la confiance, la fidélité et le respect: ça parle de soi-même ! Il faut écouter les jeunes parler et non pas essayer de leur faire dire ce que nous voulons entendre.

 Une éducation affective de qualité devrait démarrer des interrogations-même des jeunes, collectées de manière discrète et anonyme. On tombe sur des choses incroyables ! Parexemple, un des soucis récents chez les filles est de savoir s’il faut obligatoirement qu’elles s’épilent complètement le pubis, et elles ne se rendent pas compte du lien entre cet « impératif » et le film pornographique ! D’autres demandent si elles doivent obligatoirement passer par la fellation ou le cunilingus comme préliminaires à un rapport sexuel, on leur explique qu’il y a plein d’autres manières de montrer son amour ! C’est pour ça qu’il est important de partir de leurs questions, pour ensuite les aider à discerner et à exercer leur intelligence et leur esprit critique… Pour moi, la formule d’une bonne éducation affective est donc d’abord d’aller vers les interrogations des jeunes pour rejoindre leurs blessures et leurs désirs.

 Enfin, une bonne éducation affective ne devrait être ni partielle, ni partiale. Il faut une éducation qui ne soit enfermée dans aucune idéologie. Non à l’idéologie, vive l’humain ! Il y a vraiment 80% d’écoute. C’est socratique comme principe : les faire accoucher du meilleur d’eux-mêmes en les faisant parler, c’est la maïeutique ! Leur faire se poser des questions, pour leur faire découvrir le sens des choses, leurs aspirations profondes, et les aider à discerner leurs propres contradictions. J’ai rencontré un jeune dernièrement qui disait lui-même qu’il avait un très fort désir pour toutes les filles qu’il voyait et qu’il aurait voulu coucher avec chacune d’entre elles mais qu’il voulait par ailleurs se marier avec une jeune fille vierge au mariage. Il s’est rendu compte lui-même de son incohérence en formulant tout haut ce qu’il pensait tout bas ! Enfin, il faut expliquer les liens entre corps, cœur et esprit. Il est essentiel d’ harmoniser ces trois aspects là pour atteindre, pas seulement le plaisir, mais le bonheur. C’est important que les jeunes le découvrent par eux-mêmes.

On peut les éveiller aussi au piège intergénérationnel ; les relations majeurs-mineurs sont dangereuses, et ne laissent pas au plus jeune l’occasion de se découvrir lui-même. Il faut surtout qu’ils prennent le temps de réfléchir au sens et aux conséquences de leurs actes .

Je termine sur quelque-chose qui me tient beaucoup à cœur : aidons les jeunes à s’émerveiller -sur leur corps dans sa fabuleuse complexité

-sur la vie qui commence et la formation d’un petit humain

-sur la relation, la tendresse, la confiance, la connivence, la solidarité, le respect…..

Les adolescents ont un besoin fondamental de s’émerveiller et de s’enthousiasmer, plutôt que d’être abrutis de conseils, d’hormones, de latex, d’interdits ou d’interventions chirurgicales…

Une éducation au sens et à la beauté des choses a plus de chance de les aider à trouver un chemin vers ce besoin fondamental de leur cœur !!!