Un : depuis plusieurs décennies, les scientifiques s’accordent pour dire que leur puberté survient de plus en plus tôt. « Apparition des premières règles, des premiers poils pubiens, du premier sperme… : on constate effectivement un développement psycho-physiologique précoce », confirme Christian Mormont, professeur de psychologie de la sexualité à l’ULg. Les causes ? Elles sont multiples : richesse de l’alimentation, meilleures conditions de vie, exposition au stress et aux hormones…

 

Deux : les adolescents sont davantage exposés et, d’une certaine mesure, plus informés sur le sexe en général. C’est le fameux « vacarme sexuel » ou autrement dit « l’hypersexualisation » de la société. « Mais celle-ci masque d’inquiétants défauts de connaissance (contraception, anatomie, MST…) », rappelle-t-on dans les plannings familiaux, chiffres – interpellants – à l’appui.

 

Trois : ces mœurs cachent aussi de nombreux paradoxes. « Une maturité apparente et en même temps un phénomène “Tanguy” et des “adulescents” au comportement encore infantile, résume Pascal De Sutter, sexologue et professeur à l’UCL. Davantage de liberté et de tolérance, mais un retour en force de la pudibonderie et du moralisme religieux, notamment. » Des ados écartelés entre un certain romantisme, leurs désirs naturels, les interdits religieux et des codes sexuels dictés par la « pornographisation » ambiante. « Moins de pudeur, plus d’incitation ; une conception pulsionnelle et érotique de la sexualité et une forte pression sociale pour faire “comme tout le monde” – le garçon doit être performant ; la fille disponible, mais pas trop », constate le Pr Mormont (ULg).

 

Quatre : néanmoins, on ne constate pas un « passage à l’acte » forcément plus précoce. Et les chiffres de la première relation sexuelle (16 ans et demi, en moyenne) sont plutôt stables depuis 25 ans.

La loi reste compliquée (lire ci-contre) : avec une notion « d’attentat à la pudeur » sans définition légale ; des parquets qui poursuivent, d’autres pas, une relation consentie impliquant des jeunes de 15-16 ans avec un majeur ; des jugements contradictoires… « La loi ne correspond sans doute plus à l’évolution de la société, mais il faut être prudent », réagit Benoît Van Keirsbilck, du Service droit des jeunes.

« Avant de la changer, ajoute Isabelle Wattier (UCL), il faudrait d’abord dresser un constat objectif de l’état des mœurs actuelles. Ensuite, se demander si cette modification législative apporterait plus de justice, plus de clarté et une meilleure régulation des relations humaines, sociales et économiques. » Un vrai débat moral, en somme.

 

jeudi la majorité civile

« Cela inciterait à faire pire, plus tôt ! »

 

Ici on ne travaille pas : on discute, on échange ! », lâche Laura Rusalen, assise sur une table d’une salle de classe devant une dizaine de chaises placées en demi-cercle. Assis sur la moitié d’entre elles, huit jeunes garçons de 16 ans à 19 ans, élèves au collège Saint-André, à Auvelais.

L’heure et demie qui se dessine n’a, bien sûr, rien d’ordinaire dans cet établissement professionnel. Pour cause : Laura Rusalen est sexologue et travaille pour le centre de planning familial de Tamines. Elle est accompagnée de Cédric Clause, un collègue psychologue avec lequel elle réalise des animations en milieu scolaire.

Ainsi, au menu du jour : une discussion autour de la relation amoureuse et de la sexualité. En plat principal : un débat sur la majorité sexuelle et, plus précisément, sur son éventuel abaissement à 14 ans. Car, depuis octobre de l’année dernière et une proposition de loi déposée par le député flamand Raf Terwingen (CD&V), la question fait discrètement débat.

Mais la conversation s’engage sur l’idée de couple. « On ne se pose pas trop de questions en fait », lance un élève de 17 ans qui confesse, pourtant, ne pas être célibataire. « Je suis en couple, mais il n’y a pas de sentiment. Il n’y a rien et il peut y avoir plusieurs filles… » Alors Cédric Clause de rebondir : « Qu’est-ce qu’il te faudrait pour avoir plus de stabilité ? » « Il faudrait dix ans de plus ! », répond-il promptement, avec un sourire plein d’insouciance.

 

Une immaturité revendiquée : de quoi émettre des inquiétudes quant à un éventuel abaissement de la majorité sexuelle. D’autant plus que le concept (légalement, l’âge en dessous duquel une personne ne peut donner son consentement pour une relation) demeure flou dans les esprits.

« La majorité sexuelle est aujourd’hui à 16 ans en Belgique : qu’est-ce que cela veut dire ? », demande ainsi à l’assistance Cédric Clause. Les réponses ne tardent pas à fuser : « Ça veut dire qu’on n’est pas obligés d’attendre 18 ans pour s’amuser sexuellement », glisse un élève. Et Larry (18 ans), vêtu d’un gros pull blanc qui fait ressortir des joues rendues bien rouges par le froid et son excitation, de poursuivre : « A 16 ans, on est censés savoir ce qu’on fait… Mais je connais une fille de 15 ans qui sort avec un homme de 20 ans. Elle est trop jeune, ce n’est pas encore une femme ! Et peut-être qu’elle aura des problèmes psychologiques plus tard…»

« Laisse tomber, c’est trop jeune ! Moi, ma fille, si à 14 ans elle fait ça, je la chope et je chope le mec aussi !», confirme avec une violente hostilité Enzo. Avant d’enchaîner : « Mais si c’est un garçon, c’est pas pareil ! On n’a pas la même mentalité. Une fille de 14 ans qui se fait “troncher”, elle va se faire une réputation de salope ! »

Alors, la majorité sexuelle à 16 ans fait l’unanimité parmi ces huit jeunes élèves du collège Saint-André. Entre vision d’une femme plus fragile face à la sexualité, scepticisme sur l’impact réel d’une loi sur les mœurs et craintes d’incitation à la débauche, ils désapprouvent, sans hésitation, un abaissement à 14 ans.

« Ils veulent abaisser l’âge de la majorité sexuelle et, après, ils s’étonnent qu’il y ait des Marc Dutroux », s’indigne ainsi Bastien, le plus jeune de classe, au détour de la discussion. Une opinion tranchée relayée, avec plus de nuances, par Larry : « Ce serait une grosse erreur ! Ça inciterait les jeunes à faire pire plus tôt ! »

Reste à savoir si la vérité sort de la bouche des adolescents…

 

QUE DIT LA LOI ?

La règle

 

En Belgique, la « majorité sexuelle » est fixée à 16 ans accomplis. La majorité civile, elle, est de 18 ans. Entre les deux, l’adolescent reste soumis à l’autorité parentale. Mais rien ne lui interdit d’avoir des relations sexuelles librement consenties (hétéro ou homosexuelles). Toutefois, cette liberté peut être cadrée par les parents qui ont un devoir d’éducation et de surveillance.

L’attentat à la pudeur Cette notion figure dans le Code civil. Mais sa définition reste floue. On l’entend généralement comme une atteinte à l’intégrité physique d’une personne. Pour établir l’infraction, le juge prendra en compte la gravité de l’acte (en public ou en privé), l’intention, l’âge de la victime, etc.

Le viol

Là (art. 375), le législateur est plus précis. Il s’agit de « tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit et par quelque moyen que ce soit, commis sur une personne qui n’y consent pas ».

En dessous de 16 ans

Toutes les relations sexuelles sont prohibées. Entre 14 et 16 ans la loi fixe qu’il y a systématiquement atteinte à la pudeur, peu importe que les relations soient consenties ou non par le mineur. C’est ce qu’on appelle la « présomption irréfragable » ; c’est-à-dire que ce fait ne peut être contredit ; on ne peut pas apporter la preuve du contraire. En dessous de 14 ans, il y a présomption irréfragable de viol.

Les peines

Elles varient de 6 mois à 15 ans de prison, selon qu’il s’agisse d’attentat à la pudeur ou de viol ; que l’auteur soit mineur ou non ; que les relations soient consenties ou non ; qu’elles s’accompagnent ou non de « violences et menaces », etc.