Feu d’artifice de positions

Je suis le pire des obtus, je vous l’avoue, car dans toute ma pudibonderie patriarcale cisgenre, je n’avais pas compris qu’il existait, à côté de la "mauvaise" pornographie, une "bonne" pornographie. Grâce à Sensoa, je commence enfin à entrevoir ce qui permet de rendre la pornographie responsable. 1) Qu’elle soit dessinée; 2) qu’elle soit destinée aux mineurs et surtout; 3) qu’elle soit "diverse" : blanc sur noir sur jaune sur rouge sur blanc sur homme sur autre homme sous femme sur autre femme, à l’endroit ou à l’envers,… un feu d’artifice tellement beau qu’on leur pardonne même volontiers d’avoir omis de dessiner le sacro-saint préservatif ! (Ne cherchez pas d’autres différences, il n’y en a aucune, sinon une série d’explications mécaniques et d’histoires de sexes qui, à n’en pas douter, ne défigureraient pas les plus licencieuses publications du genre).

Oui, mes amis, je suis un horrible pudibond réactionnaire. J’ai même cru naïvement et stupidement qu’alors que Twitter déborde de #metoo et autres #balancetonporc, qu’à l’heure où la majorité des femmes seront victimes au moins une fois dans leur vie d’agressions sexuelles, la priorité serait de trouver des moyens concrets pour éviter d’habituer nos garçons dès leur enfance à se repaître du corps d’une femme comme d’un objet. D’éviter que le porno n’asservisse leur cerveau, ne détruise leur vie sexuelle naissante ni ne pollue leur regard sur l’autre sexe. Je sais dorénavant que la priorité, c’est d’apprendre à regarder le corps de l’autre comme un objet, mais de manière responsable et consentie. Ce n’était pourtant pas bien compliqué de voir à quel point s’attaquer au porno pour de vrai serait prude (berk) et conservateur (pouah !).

Je suis patriarche

Mais aujourd’hui, grâce à Sensoa, j’ai compris qu’il n’est rien de tout cela. Car le vrai responsable, je suis amer de vous le dire car je viens d’en prendre conscience, n’est autre que l’humble vermisseau que je suis.

Je dois vous le confesser, je suis le pire des patriarches. J’ai eu la faiblesse de défendre la transmission masculine du patronyme, qui me vaut encore aujourd’hui une rancune tenace mais j’en suis certain méritée de la part d’une partie du corps féministe. J’éprouve un malin plaisir à parler de madame "le" ministre en répétant à qui veut l’entendre qu’en français, le genre n’a pas de sexe. J’ai gardé un faible pour l’adorable mot "mademoiselle" et vante à longueur de journée la complémentarité homme-femme. En matière de galanterie, la liste de mes méfaits serait trop longue à détailler tant il m’arrive fréquemment aujourd’hui encore de leur tenir la porte, leur donner le bras avec condescendance ou pire en les complimentant sur leur robe. Je me complais volontiers dans le rôle du chevalier protecteur s’amusant à impressionner la racaille vespérale qui papillonne un peu trop près des dames dans le métro. Pire, j’ai honte de vous l’avouer, quand un individu un peu louche manque de respect à ma sœur, j’éprouve de manière quasi irrépressible l’envie protectrice et paternaliste à peine dissimulée de casser la figure de l’importun.

Grâce à Sensoa, Sven Gatz et Cie, je puis désormais faire amende honorable et devenir un homme nouveau. Car je sais à présent que j’ai fait fausse route, et qu’en fait, le vrai problème, le vrai responsable de #metoo, c’est moi.

Faire de mes fils des hommes

Il me reste encore une étape ultime que je ne parviens pas encore à franchir. J’ai beau essayer par tous les moyens, je ne suis pas parvenu à renoncer à l’ambition de faire de mes 4 fils des hommes, des vrais. C’est-à-dire en faire des garçons qui savent regarder une femme dans les yeux, pour qui la vie affective ne se résume pas qu’au sexe et qui ne parlent de personne comme d’un objet comme je l’entends si souvent sans que cela n’émeuve personne; en faire des hommes qui sauront qu’enfiler les filles comme d’autres les perles n’est pas plus glorieux que de se repaître de la nudité de quelqu’un ou d’acheter le corps d’une prostituée; en faire des hommes qui auront appris à aimer en cœur, corps et âme. Bref, à tout faire pour qu’ils ne deviennent pas des porcs.

Pauvre rêveur que je suis dans le monde d’aujourd’hui ! Quand j’aurai renoncé à cette folle chimère, quand je serai enfin prêt pour le monde libéré et radieux qu’annonce Sven Gatz, je pourrai confier l’éducation affective de mes fils à Sensoa, qui sait bien mieux que nous, pauvres parents, ce qui est mieux pour eux.

Je n’aurais pas évité d’en faire des porcs. Mais au moins ils seront devenus des porcs responsables. Et pour ça, je pourrais remercier Sensoa jusqu’à la fin de mes jours.

Joseph Junker-La Libre Belgique