Médecin et haptothérapeute, Catherine Dolto, fille de la célèbre pédiatre du même nom, est farouchement opposée à la gestation pour autrui (GPA). Elle s’étonne ainsi que le principe de précaution ne soit pas appliqué bien que la recherche ait démontré les répercussions sur l’adulte des perturbations de sa vie in utero.
Dans une interview, vous avez récemment déclaré qu’autoriser la GPA, « c’est faire un grand pas vers la barbarie ». Que voulez-vous dire ?
Organiser l’abandon d’un enfant pour des raisons commerciales est une pratique barbare qui va faire basculer l’humanité dans l’inconnu. La commercialisation de l’enfantement n’est pas un progrès technique, mais bien une dérive éthique. Il est troublant de constater que l’abolition de l’esclavage est unanimement reconnue comme un progrès, alors que la location du corps d’une femme ne semble pas être perçue comme une régression.
Nous avons déjà réduit les animaux à l’état de choses dans de cruels élevages industriels ; sommes-nous prêts à faire de même avec la reproduction des humains ? Il y a un lien étroit entre la manière dont une société encadre la gestation et la petite enfance et l’évolution que les enfants ainsi traités feront subir à leur cadre social. Ne pas prendre soin des nouveaux arrivants, c’est préparer la barbarie à venir.
Quels sont les risques pour l’humanité ?
De sombrer dans le chaos. À mon sens, c’est déjà le cas lorsqu’une mère porte l’enfant de son propre fils, lui-même homosexuel, comme cela s’est produit récemment en Angleterre. En effet, nos sociétés humaines sont marquées par des interdits. Celui de l’inceste est partagé par toutes. Dans le cas anglais, ce tabou a totalement sauté. Il ne faudra pas s’étonner si nos sociétés produisent de plus en plus de violence, puisque les grands interdits ont comme fonction de la canaliser.
Il est frappant que l’enfant à naître ne soit pas lui-même
au centre du débat.
Comment expliquez que peu de thérapeutes prennent position sur la GPA ?
Ils sont assez peu nombreux à s’intéresser à la vie fœtale comme je le fais. D’autre part, le débat est tellement violent qu’ils hésitent à prendre la parole. Ces questions sont complexes. Les réponses, souvent militantes, voire dogmatiques, oublient trop facilement ce que l’on sait de la vie prénatale.
Pour ma part, je m’exprime sur la GPA en dehors de toute considération sur la nature des couples y ayant recours. Je souhaite juste verser au pot commun de cette réflexion le résultat d’une vie de travail sur le sujet. Je ne me fais aucune illusion sur la banalisation tôt ou tard de la GPA : lorsqu’une technique est disponible, l’homme s’en sert. Mais il faut que les gens sachent ce qu’est la vie prénatale, ce que sont la souffrance des enfants et l’influence de la période précoce sur toute la vie.
Comment expliquer que l’intérêt de l’enfant soit si peu évoqué dans le débat sur la GPA ?
C’est un mystère pour moi. Il est frappant que l’enfant à naître ne soit pas lui-même au centre du débat. Le droit à l’enfant est plus important que le droit de l’enfant au respect de son humanité. Il semblerait pourtant juste de se soucier d’abord de lui, de ce que cette manière inédite d’arriver au monde risque de lui signifie, tout au long de sa propre vie et de celle de sa descendance.
En l’oubliant, l’impasse est faite sur les soixante-dix dernières années de découvertes scientifiques dans le domaine de la vie prénatale. Est-ce qu’on oublierait de parler de la physique quantique dans un débat sur les sciences physiques ? C’est absurde !
Un enfant in utero se constitue dans le concert polysensuel offert par ses parents : la voix de son père, le bruit du cœur de sa mère, le goût de ce qu’elle mange, ses sentiments, ce qu’elle éprouve quand d’autres s’approchent, tout passe la barrière du giron maternelle et devient potentiellement important. Jusqu’à modifier le patrimoine génétique de l’enfant comme l’atteste l’épigénétique qui étudie les influences environnementales sur le génome.
Outre la souffrance du bébé, pense-t-on à celle de la mère qui doit l’abandonner, celle de ses autres enfants celle de son compagnon ?
Les protagonistes s’intéressent aux modalités juridiques, les droits des uns et des autres sont examinés au plus près. Vaut-il mieux que la mère porteuse s’attache à l’enfant avant de l’abandonner ? Ou qu’elle le porte en se coupant le plus possible de lui ? En tout état de cause, ces questions de forme viennent occulter celles de fond.
On sait aussi qu’à l’adolescence et au moment où l’enfant devient parent se rejoue ce qui a été vécu à la naissance.
Dans les pays où la GPA est autorisée, quels retours avons-nous sur les enfants qui en sont issus ?
Ma mère, Françoise Dolto, disait qu’il fallait trois générations pour faire un schizophrène. Il est acquis aujourd’hui que la pathologie des grands-parents ou les difficultés entre grands parents et parents peuvent rejaillir sur les petits-enfants. Pour cette raison, il est très surprenant que le principe de précaution ne soit pas utilisé dans le cas de la GPA.
Scientifiquement, il est trop tôt pour tirer des conclusions précises. Ce qui se passe in utero se manifeste tout au long de la vie. On sait aussi qu’à l’adolescence et au moment où l’enfant devient lui-même parent se rejoue ce qui a été vécu à la naissance. Ainsi, nous pourrons vraiment mesurer les dégâts chez les enfants nés de GPA lorsqu’ils seront adolescents ou deviendront à leur tour parents. C’est dans plusieurs générations que nous prendrons la mesure des inévitables dégâts sociaux et individuels, mais il sera bien tard…